Pourquoi cette nostalgie des années 80 ?

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Introduction  

Depuis quelques années, on peut constater que les jeunes aux Etats Unis et en Europe ont la nostalgie des années 1980. Nous allons revenir sur ce qui a marqué ces années sur le plan culturel, afin d’expliquer cette nostalgie. Nous allons beaucoup revenir sur les Etats-Unis, car il est incontestable que ce pays exerce une grande influence sur tout les pays occidentaux, sur le plan culturel et politique.

Il est à noter que diviser les périodes en décennie, comme l’indiquait Christopher Lasch, est une attitude typiquement moderne voir postmoderne, pour une raison simple : les choses bougent très vite, et d’une année à l’autre les modes peuvent changer.

 

Le contexte de l’époque

            Avant de nous intéresser aux arts et à la mode de cette époque, il faut bien contextualiser cette décennie. A l’aube des années 1980, les Etats-Unis ont perdu de leur superbe, ils ont du mal à encaisser la défaite au Vietnam, les négociations avec l’Iran concernant des otages américains ont été un fiasco, l’URSS semble invincible (les années 1970 marquent l’apogée en termes de niveau de vie pour les habitants de l’empire soviétique). C’est dans cette atmosphère de défaite qu’arrive un homme, Ronald Reagan, avec un message plus positif, qui veut restaurer sa grandeur à l’Amérique. Bref, si l’on devait décrire la présidence de l’ancien acteur, ça serait le positivisme. Un état d’esprit qui va caractériser tout l’Occident pendant la décennie qui va nous intéresser. Il est à noter que l’on peut déjà relever quelques similitudes avec Donald Trump, qui lui-même a été élu pour sa volonté à relever les Etats-Unis, car tout comme au début des années 1980, les Américains se sentent dans une période de déclin, qu’ils veulent éviter. On remarquera également que le slogan du milliardaire américain Make America Great Again est exactement le même que le président Reagan. Tout cela, sans compter que Donald Trump est lui-même une figure des années 1980. Il n’est donc pas incohérent de penser que la nostalgie des années 1980 a beaucoup joué dans l’élection de Donald Trump.

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Les années 80 et le cinéma 

            Au cinéma, ces années 80 et cet esprit positif se traduit dans plusieurs films, que l’on qualifiera bien souvent de Reaganien. Nous pensons bien sûr à Top Gun qui a propulsé Tom Cruise au rang de star. Un film avec un héros positif, qui veut se battre pour son pays, qui a la volonté d’être le meilleur pilote, de se dépasser. L’esprit reaganien résumé en un seul film. Un autre film beaucoup plus libéral dans son esprit, et qui caractérise bien les années 80 à notre sens, c’est Conan le Barbare. Le film nous conte l’histoire d’un orphelin mis en esclavage, qui va se libérer de ses chaines, changer son destin grâce à sa volonté (notons que le film fait explicitement référence à Nietzsche), venger ses parents et épouser une princesse à la fin du film. Enfin, un dernier exemple de film qui caractérise cette décennie reaganienne, c’est Rocky IV : le boxeur pour son quatrième film ne va rien de moins qu’affronter un colosse soviétique, afin de venger la mort de son ami Apollo Creed mais aussi venger l’honneur de l’Amérique (rien de moins !). Il s’agit du plus gros succès de la franchise.

Dans ces trois films cités, l’esprit libéral des années 80 est représenté. Un seul homme peut changer le destin de tout une communauté, un homme peut s’élever par sa volonté et son optimiste, s’il choisi de changer son destin.

Néanmoins, il serait trompeur de penser que tous les films des années 80 sont optimistes, car c’est aussi dans cette décennie que sort le désormais culte Blade Runner, qui nous dépeint un futur qui fait froid dans le dos, dénonçant les dérives que peuvent engendrer le progrès. Notons qu’il s’agit d’un film postmoderne, empruntant l’esthétisme du passé pour fonder quelque chose de nouveau. En effet, de nombreux éléments sont empruntés aux années 1940 et les films noirs, tout en étant mélanger à des éléments des années 80 (comme les coiffures des femmes), ce qui permet de construire un futur tout à fait original.

Si nous citons Blade Runner dans cet article, ce n’est pas anodin. En 2017 est sortie une suite du film. C’était loin d’être la seule, étant donné que depuis quelques années, il y a une volonté de ressusciter les films des années 70 et 80. On peut également voir cette démarche en ce qui concerne la saga Star Wars. Si l’on peut critiquer la qualité des films récents, on ne peut nier qu’il s’agit d’une volonté de jouer sur la corde sensible, et nous emmener dans les salles obscures, pour revivre la saga qui a fait rêver plusieurs générations. Cela ne doit pas nous faire oublier que celle-ci était un pur produit de la fin des années 70 – début années 80, ce qui peut expliquer son succès à l’époque (au vu du contexte particulier).[1]

 

Les créations originales

Un nombre important de films et de sagas des années 80 ont vu récemment des suites (Rambo, Rocky, Terminator etc.), comme si Hollywood avait des difficultés à se renouveler, ou que le génie créatif des années qui nous intéresse serait inégalable. Mais il existe aussi un autre phénomène jouant sur la nostalgie : la création de film ou série authentique se déroulant dans les années 80.

Nous pensons à l’excellente série Stranger Things, qui se déroule dans une petite ville américaine, dans les années 80. Cette série s’inspire de film comme Les Goonies, en étant beaucoup plus mature. Elle fait énormément référence à la culture de ces années-là (les évènements, ou les films comme SOS fantômes), le tout teinté de musique synthwave. Si l’univers dans lequel se déroule la série est fantastique, il s’agit d’une excellente reconstitution des années 80.

Stranger Things n’est pas la seule production artistique se déroulant dans ces années-là, on peut penser aussi à des films comme Atomic Blonde, 1981 et sa suite 1987 (deux excellentes chroniques canadiennes où le réalisateur évoque en quelque sorte son enfance et son adolescence), Dallas Buyers club. La liste est non-exhaustive et elle est surtout intéressante pour relever le fait suivant : il y a une nostalgie des années 80, un fait que les producteurs ont compris et n’hésitent pas à exploiter.

La raison de cette nostalgie ? Tentative d’explication

            Comme nous l’avons dit, la décennie des années 80 était globalement optimiste. Bien sûr il y a eu des films plus pessimistes, mais de manière générale on voyait l’avenir de façon bien plus positive, le progrès technologique bien qu’il soit dénoncé, ne faisait pas peur. Ensuite, il y avait bien un style et des codes qui sont des marqueurs uniques de cette décennie, dès qu’on les voit on pense directement aux années 80 (les néons par exemple), au contraire des années 2010, où la mode semble être restée la même depuis la fin des années 1990.[2] On pense aussi que c’est une décennie à la fois plus libérale où l’envie de s’élever est très présente, mais le tout sur un fond d’idées conservatrices. A l’heure actuelle où par exemple le féminisme a fait beaucoup de ravages chez les jeunes, une décennie où les genres étaient clairement définis (dans la mode par exemple), cela peut faire rêver. Nous pensons par exemple à la célèbre publicité de Gillette,[3] positive et ventant la masculinité, aujourd’hui complètement dénoncée…

Ensuite, si les producteurs font plusieurs remakes ou suite des films de ces années-là, c’est tout simplement car pour eux c’est un fait qu’il y a une nostalgie, mais aussi parce que les meilleurs films ont été réalisé durant cette période, il est donc plus facile de remettre en lumière ces anciennes franchises, qui ont déjà une fan base importante avec un scénario déjà bien établi. Cela dit, le succès critique n’est pas toujours au rendez-vous.

Enfin, nous pensons également que le succès de cette période, vient du fait qu’il y avait une culture jeune intéressante. C’est principalement durant cette décennie que le réalisateur et scénariste John Hughes va faire ses armes, avec des films culte comme Seize bougies pour Sam, ou encore La folle journée de Ferris Bueller.[4]

En bref, les années 80 semblent être une source d’inspiration pour mal de jeunes, car elles sont bien plus positives et plus riches en termes de sources artistiques, par opposition aux années 2010 qui semblent bien terne et teinté de pessimisme. Pourtant dans La culture du Narcissisme, Christopher Lasch relevait déjà à l’époque de la sortie de son livre au début des années 1980, qu’avec les catastrophes écologiques, l’avenir ne semblait pas aux beaux fixes pour les jeunes. Néanmoins, en observant la mentalité et la culture de l’époque, qui certes mettait l’individu en exergue, on ne ressent pas ce pessimisme.

Article signé Matt

[1] Nous ne reviendrons pas là-dessus, mais cela pourrait faire l’objet d’un autre article passionnant.

[2] Faites l’exercices : regardez une vidéo des années 2000, sans savoir la date, et réfléchissez si ça pourrait se passer en 2019.

[3] Une publicité où l’on voit des hommes probablement homme d’affaires, mais aussi astronautes, sportifs, le tout entouré par des femmes et des enfants affectueux( https://www.youtube.com/watch?v=ThDBf14qPsc&t=0s ), il n’est pas anodin de voir que récemment le sens de cette publicité a été complètement renversé par une campagne récente dénonçant la fameuse « masculinité toxique »…

[4] Probablement l’un des meilleurs films pour ado que nous conseillons à tous, y compris les adultes ayant déjà passé largement cette période.

 

Addendum par Victor

D’un point de vue esthétique, on note également l’émergence d’une vraie culture de la mode encore très originale, très aristo-chic (avant la décadence de ce milieu), ce qu’on perçoit dans beaucoup de clips musicaux de l’époque comme ceux du génial groupe allemand Propaganda par exemple, mené par la sublime Claudia Bruncken. S’ajoutent les innovations dans les domaines de l’architecture, du design et de l’ameublement, également totalement aristo-chic avec un côté rappelant beaucoup l’époque des années 20, avec énormément de style ; en témoigne les magazines de mode et d’ameublement de l’époque et l’incroyance renouveau dont ils témoignent. On pense aux parfums (il suffit de se rappeler ici de certaines parodies des Nuls ou des Inconnus qui se moquaient des publicités des maisons de parfumerie de ces années-là).

Enfin, la technologie a fait un bond incroyable. On peut observer combien les groupes de rock des années 70 ont opéré leur tournant dans les eighties (tels Yes ou Genesis par exemple) avec des morceaux plus synthétiques, addictifs grâce aux nouveaux sons produits par les synthétiseurs et ordinateurs. Peter Gabriel, ancien membre de Genesis, a explosé en solo dans les années 80 avec des clips repoussant les barrières, et préfigurant les innovations des clips d’un Mickael Jackson par exemple.

Une bonne partie de l’optimisme de l’époque est, à notre sens, une conséquence de cet indéniable progrès technologique qui devait donner la sensation aux gens de l’époque de découvrir une nouvelle excitation, de même que la jeunesse des années 50 découvraient avec frisson le rock’n’roll avec Elvis Presley. On peut parler d’une viralité synthétique, tant les nouveaux sons devaient être addictifs (et ils le sont toujours maintenant pour nos générations, malgré les presque 40 ans d’ancienneté !).

On notera, enfin, également l’intensification du culturisme (autre nom du body-building) avec en guest-star Arnold Schwarzenegger, héros de plusieurs films cultes de ces années-là. Ce culture matérialiste du corps, qui explose également dans notre monde contemporain avec le succès des salles de fitness, explique l’attrait pour une décennie perçu comme étant la première dans le monde post-45 à avoir autant insister sur une telle exigence en matière de physionomie humaine et de beauté physique, inaugurant un retour à une hygiène de vie plus pure, un retour à la santé plus radicale que le relatif « laissez-aller » des époques précédentes. La rupture se marque aussi clairement là.

En résumé, on peut affirmer que la culture des années 80 fût un tout harmonieux, non seulement dans le domaine populaire que sur le plan élitiste. Et qu’elle fût globalement une innovation vers la qualité, une intensification dans tous les sens du terme par rapport aux années 70 que menaçait par exemple une certaine décadence avec l’arrivé du punk-rock à tendance anarchiste, contrebalancé dans les années à venir par la New Wave et la Pop Romantique (Sophisti-pop avec des groupes mythiques comme The Style Council de Paul Weller ou Johnny Hates Jazz). Les années 80 sont, en un sens, plus « propres » que les années 70, faisant écho aux années 2000 et la technologie intense qui caractérise toujours notre époque.

Ce tout harmonieux, cette « unité de style » (il faut rappeler que, pour Nietzsche, une civilisation exemplaire se caractérise avant tout par une unité de style dans sa culture ; on peut donc dire que les années 80 sont exemplaires en ce sens), explique ainsi l’attrait de ces années où régnait, entre autres, en maîtres les drogues type cocaïne qui explique un peu (beaucoup) de la folie et de l’adrénaline dingue de l’époque.

 

1 commentaire

  1. Superbe article! Pour moi il y a une renaissance blanche en terme musical de part la New Wave qui est née en Angleterre… (les noirs étant disco ou funk…)
    Et ce style inspire clairement la SyntWave et l’electro-pop… tant dans son esthétique, sa musicalité , il y a quelque chose de clairement racial et boréen…
    Je pense que ça donne une touche d’espoir dans ce monde qui cultive le laid d’avoir une esthétique qui transcende et nous inspire un style clairement futuriste et traditionnel à la fois… je pense que ce n’est pas incompatible et même souhaitable… il n’y a que comme ça que l’Occident peut se sauver en tant que civilisation.

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